Extraits et citations :
“Cette trajectoire complexe entre les deux pays – d’abord l’immigration de mon grand-père maternel dans les années 1970, le retour au Maroc de ma mère dans les années 1990 et notre migration à toutes les deux ensuite –, je l’ai déjà racontée dans mon premier livre Illégitimes. Mais je ne savais pas tout. En pleine promotion, alors qu’elle me rendait visite à Paris, j’ai décidé d’emmener ma mère avec moi pour une interview. Je voulais qu’elle découvre les coulisses de mon métier d’autrice et de journaliste. Dans le taxi, en route pour le studio d’enregistrement, maman dit dans un sourire, le regard absorbé par le défilé des bâtiments grisâtres de la capitale derrière la vitre : « Il est fou, ton parcours, quand je pense que j’ai dû me battre pour que tu restes en France. » Et c’est comme ça, dans les bouchons du périphérique parisien, que j’ai appris l’OQTF, l’obligation de quitter le territoire, qui m’a été adressée quelques mois après mon arrivée. La tutelle étant exclusivement paternelle dans le code de la famille marocain, l’État a suspecté ma mère de m’avoir kidnappée. Elle m’a défendue, seule, au tribunal français.
En cette fin d’année 2023, nous sommes tous les trois en vacances au Maroc – maman, papa et moi – et c’est toute cette histoire qui nous lie, même dans nos silences, en buvant le thé. Nous savons ce que ça nous a coûté de partir de Fès, l’absence qui nous a divisés et abîmés, ce que cela signifie aussi de revenir avec le statut d’immigré. Car, si la France ne nous a pas pleinement accueillis, ici aussi nous sommes des étrangers. Je leur raconte mon intervention, quelques jours auparavant, dans une conférence à Rabat, au Conseil national des droits de l’Homme, en faveur d’une réforme de la Moudawana, notamment de l’instauration de la tutelle et de la garde partagée et de l’égalité dans le droit successoral pour les femmes.
Je leur lis une partie de mon discours : « Il est difficile de s’exprimer quand on est partagée entre deux pays si culturellement différents mais liés par l’Histoire. Il est particulièrement difficile de le faire avec une approche féministe lorsqu’on ne veut pas reproduire une lecture eurocentrée pour ne pas dire néocoloniale. Car, moi non plus, le féminisme hégémonique ne m’a pas incluse dans ses combats. Il ne s’est que peu intéressé à la condition des femmes issues de l’immigration maghrébine et qui ont grandi dans un milieu ouvrier en Europe. Il continue de ne pas inclure les problématiques des femmes du Sud global en première ligne des enjeux sociaux et environnementaux. Seules les nouvelles approches féministes, que l’on dit décoloniales ou intersectionnelles, permettent de comprendre la réalité de nos vies de femmes à l’intersection de plusieurs oppressions : la race, le genre et la classe, comme l’a si bien écrit Angela Davis. »
Quatrième de couverture :
« Je suis une femme. Le racisme empêche de le voir parce qu’une femme, dans l’imaginaire commun en Occident, c’est une femme blanche. Moi, je suis avant tout perçue comme une Arabe, une Maghrébine voire une musulmane, en tout cas un corps étranger à la nation française. […] Les femmes racisées sont invisibilisées à la fois par le sexisme et par le racisme, donc par le féminisme universaliste et une partie de l’antiracisme. »
Permanence du mot « beurette » dans le débat public, fétichisme de la femme dite orientale hérité de l'ère coloniale, instrumentalisation des femmes maghrébines dans la téléréalité... Un continuum oppressif annihile les corps, les perceptions et les possiblités de chacune de ces femmes.
Dans cet essai vibrant politiquement et nourri de références et de vécus, Nesrine Slaoui fouille les enjeux historiographiques et intimes de la condition de la femme maghrébine en France et propose une approche intersectionnelle invitant à la réparation collective.
Contexte :
Structure :
Introduction - L'heure du thé
I. - Le sexisme racial
1. Une assignation contradictoire
2. Penser notre identité multidimensionnelle
3. Le droit de dire « je »
4. L'arabisogynie : alliance des oppressions
5. La dichotomie de la « beurette » et de la « voilée »
6. Sortir du regard blanc
Analyse :