Extraits et citations :

“Et puis, badaboum… j’ai eu des enfants. Et là, moi qui étais un « je » absolu, j’ai compris ce que ça voulait dire être une femme – et que, pas de bol, j’en étais une. J’ai découvert la double journée – quand vous avez deux fois moins de temps pour faire trois fois plus de choses. La charge mentale – quand vous devez penser, anticiper, calculer, organiser. Je me suis retrouvée dans les statistiques déprimantes de couples plus ou moins égalitaires que l’arrivée du premier enfant déstabilisait totalement. En outre, l’âge de la maternité correspondait à un moment de la vie où il commençait à être difficile de tout mettre sur le compte de feu ma jeunesse.

La femme qui m’a rattrapée, ce n’était donc pas celle des magazines, mais celle, bien plus terrible, des statistiques.

C’était dans la main tendue pour ramasser une chaussette qui traîne, dans ce geste fatigué et invisible, qu’était tapie mon « identité féminine ». Être une femme, ce n’était pas seulement l’idéal d’être « féminine », c’était le souci permanent des autres et du foyer, la préoccupation de l’ordre, du propre, de l’organisation : c’était être sans cesse ramenée à la saleté, les taches, la morve.”

“Heureusement, au sein de mon couple, tout allait bien. On était d’accord sur plein de trucs, on rigolait toujours autant. Mais, les mois passant, une faille s’élargissait malgré nous, malgré notre bonne entente. Une faille que je semblais être la seule à ressentir – ce qui évidemment la creusait encore davantage. Une faille en haut de laquelle je me postais, les mains en porte-voix, pour demander à l’abîme : pourquoi la naissance des enfants a compliqué ma vie professionnelle, alors que la sienne continue sa progression ? Me revenait l’écho du vide, également nommé le « c’est comme ça ».

En apparence, ma vie était tout ce qu’il y avait de plus normal – mais j’avais l’impression d’être sur le Titanic, rattrapée par un iceberg dont j’avais pensé qu’il avait fondu une dizaine d’années avant ma naissance. J’avais dû rater un truc, un embranchement existentiel quelque part.

J’avais perdu la loutre en moi. Étais-je devenue une femme comme les autres ?

Alors je me suis tournée vers la seule solution viable que je connais. J’ai lu. J’ai fait des recherches. Et j’ai écrit. Combien de temps par jour, en moyenne, les femmes consacrent-elles à leur maison et leur famille ? Pourquoi la maison est-elle féminine ? L’avait-elle toujours été ? D’où venait notre héritage de manières ? Et, si la maison est féminine, alors la dualité de l’esprit entraîne que l’espace public, que le monde extérieur est celui des hommes. Est-ce toujours le cas ? Tous ces problèmes ne m’avaient pas préoccupée tant que je n’étais pas une femme. Brusquement, je lisais ma vie à l’aune de l’histoire. Être une femme, ce n’était pas seulement avoir un utérus, mais être porteuse d’une histoire sociale et sensible, responsable d’un avenir. Pourquoi ma génération, pourtant nourrie de féminisme, avait-elle perdu cette conscience ?”

Quatrième de couverture :

« Un jour, je me suis demandée : pourquoi est-ce moi qui ramasse les affaires qui traînent ? Je n’ai trouvé qu’une seule réponse. Parce que je suis une femme qui vit avec un homme et deux enfants et que, conséquemment, les corvées, c’est pour ma gueule.

Être une femme, ce n’est pas seulement l’idéal de minceur et de cheveux qui brillent, c’est le souci permanent des autres et du foyer, c’est être sans cesse ramenée à la saleté, aux taches, à la morve. L’égalité serait déjà là, mais les femmes conservent la conviction intérieure qu’elles doivent s’occuper de tout et tout le monde, et d’elles en dernier, s’il reste cinq minutes à la fin de leur triple journée.

Cette féminisation de la sphère privée implique une autre conséquence : l’espace public est toujours masculin. Peut-on se dire égaux quand la moitié de la population adapte ses vêtements en fonction des transports et fait attention à ne pas être seule la nuit dans la rue ? Et si le combat féministe devait encore et toujours se jouer dans la vie quotidienne de chacune et chacun, chez soi, dans sa propre maison, devant le panier de linge sale ?

Contexte :

Structure :

Analyse :

A propos de l’autrice Titiou Lecoq :

Titiou Lecoq est journaliste indépendante et blogueuse sur Girls and geeks, utrice et penseuse du féminisme. En 2014, elle a publié Sans télé, on ressent davantage le froid (Fayard) et en 2011, un roman, Les Morues (Au Diable Vauvert), et avec Diane Lisarelli, L'Encyclopédie de la Web Culture (Robert Laffont). Elle a aussi créé le podast Rends l’argent. Elle a écrit Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale (Fayard) et Les Grandes Oubliées : Pourquoi l'histoire a oublié les femmes.

Sources :

Titiou Lecoq, journaliste et militante féministe, Par Jupiter, Charline Vanhoenacker , Juliette Arnaud, 2021

Pour aller plus loin :