La terreur féministe – Petit éloge du féminisme extrémiste, Irene, 2021, Editions Divergences.

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Irene est une militante féministe basque.

Dans cet essai, elle pose un constat : le féminisme est présenté partout comme un mouvement intrinsèquement pacifique. S’en suit deux questions. D’une part : est-ce que ce constat est véridique ? D’autre part, faut-il brandir cette non-violence supposée comme une valeur suprême ? (p.13)

Elle défend l’idée selon laquelle, dans un système qui maltraite et peut aller jusqu’à tuer les femmes, riposter avec violences est vital, légitime et même nécessaire (p.15).

L’essai se divise en trois sections : dessine moi une femme violente, la violence pour la survie et la violence comme stratégie politique féministe.

Elle prend l’exemple de peintresses majeures mais oubliées parce que femmes comme Artemisia Gentileschi et Elisabetta Sirani, qui peignent la violence des femmes (p.25) : des femmes qui assassinent leurs violeurs, voleurs et envahisseurs. Ces artistes lèguent un message puissant : la violence appartient également aux femmes, elle peut et doit faire partie de l’imaginaire féminin (p.23). La société, en essentialisant les femmes, tend à séparer la violence des femmes, les empêcher de se penser comme dangereuses, comme menaçantes (p.24).

Irene prend également des exemples dans la fiction, pour parler de violence de femmes ou de leur vengeance qui ne réponde pas au male gaze, dénonçant le fait que dans la culture mainstream, les femmes qui se défendent sont toujours hypersexualisées (pp.36-37).

Elle mentionne également Scum Manifesto, de l’autrice américaine Valérie Solanas, qu’elle invite à lire comme une fiction dystopique que l’on pourrait inclure dans une réflexion plus large sur la violence des femmes (p.46). Dans « Moi les hommes, je les déteste », l’autrice française Pauline Harmange présente une définition de la misandrie comme une réaction à la misogynie (p.45).

Elle dénonce aussi le fait que la non-violence découle d’un privilège et le dogme du pacifisme est éloigné de la réalité (pp.51-52). Certaines personnes pauvres, peu éduquées, isolées, sans ressources financières, matérielles, relationnelles, n’ont pas d’autres alternatives pour survivre. Prenant l’exemple de sa grand-mère et d’autres femmes espagnoles durant la dictature, elle montre comment elles ont subi à la fois le fascisme, la violence de classe et la violence patriarcale (p.53). Les violences conjugales étaient tolérées et le divorce interdit jusqu’en 1981 (p.56). En 1999, le Code pénal espagnol est réformé pour permettre l’application de mesures d’éloignement pour protéger les femmes victimes de violences conjugales et la prise en compte des violences psychologiques dans les procès (p.57). Ces changements ont lieu à la suite du féminicide de Ana Orantes, assassinée pour avoir révélé les violences dont elle était victime, échappant à l’emprise de son agresseur. Effacer l’histoire de ces femmes-là revient à les silencer une fois de plus.

Iréné dénonce aussi l’inadaptation du système pénitentiaire et la nécessité de développer un féminisme anticarcéral car la prison ne protège pas les femmes (p.62).

De plus, les hommes tuent les femmes par misogynie, là où les femmes tuent en grande majorité pour survivre. Les féminicides, meurtres de femmes parce que femmes, sont le résultat d’un système de domination (pp.66-67). La violence est inhérente au patriarcat, elle est omniprésente : vivre dans la peur du viol, des violences conjugales, d’avortements clandestins, de mutilations, mais aussi l’invisibilisation, l’effacement, etc (p.67).

Iréné défend donc l’idée selon laquelle le féminisme est et a toujours été violent. Mais la violence féministe n’est pas oppressive, elle est subversive. C’est un moyen et non une fin, un moyen d’auto-défense et de survie (p.68).

Dans son essai « Comment la non-violence protège l’Etat. Essai sur l’inefficacité des mouvements sociaux », le militant anarchiste Peter Gerledoos défend la notion de diversité des tactiques, contre le dogme de la non-violence, en soulignant qu’il est nuisible et surtout inefficace et faux si on regarde les grandes victoires militantes dans l’histoire (pp.79-80).

Le philosophe Etienne Balibar souligne que n’importe quelle action politique qui met au défi l’ordre institutionnel établi et les relations de pouvoir qui le maintiennent sera considéré comme violente, car c’est justement le pouvoir constitué qui se réserve le droit de définir ce qui est violent ou pas (p.82). La philosophe française Elsa Dorlin, autrice de « Se défendre » renchérit en évoquant la lutte des suffragettes britannique pour le droit de vote : « la revendication d’une égalité civile et civique ne peut être adressée pacifiquement à l’Etat puisque ce dernier est le principal instigateur des inégalités ». La violence est donc politique (p.87). De ce fait, mené un mouvement politique uniquement basé sur des stratégies traditionnelles, légales et socialement acceptées revient à demander à l’opposant, au dominant, sa permission pour lutter contre son oppression voire son existence même.

L’autodéfense politique et plus concrètement l’autodéfense féministe est non seulement une stratégie politique mais aussi un outil de prise de conscience politique et un moyen de réhabiter nos corps, le corps de l’opprimée, contrôlé, violé, agressé (pp.90-91). Elsa Dorlin résume les trois enjeux principaux de l’auto-défense féminine : la politisation, la réappropriation des corps oppressés et la mise en place d’une stratégie efficace et organisée (p.93).

Iréné reprend le parallèle entre les tactiques des suffragettes et celles des black-blocs dressé par Francis Dupuis-Déri dans « Les Black Blocs : la liberté et l’égalité se manifestent ». Cette technique est rarement associée aux femmes. Pourtant, il a toujours existé des militantes qui emploient leurs corps comme moyen d’action directe (p.94). Leur tactique est stratégique, politique et émancipatrice.

Le féminisme est une riposte.