La prison est-elle obsolète, Angela Davis, 2014 (publication originale 2003), Le Diable Vauvert
Angela Davis a été une militante du mouvement des droits civiques aux États-Unis et membre des Black Panthers. Elle est professeure de philosophie féministe et écrivaine.
Introduction : Réformer ou abolir la prison ?
Plus de 2 millions d’Américains (sur une population carcérale mondiale estimée à 9 millions d’individus) vivent en prison, en maison d’arrêt, en centre de détention pour mineurs ou en centre de rétention pour migrants (p.5). Les habitants des États-Unis représentent 5 % de la population mondiale, mais plus de 20 % de la population carcérale mondiale (p.6).
Angela Davis questionne l’efficacité de l’enfermement (p.6) : l’incarcération de masse accélérée sous l’ère Reagan dans les années 80 n’a pas eu d’effets notoires sur les chiffres de la criminalité. Elle utilise le concept de complexe carcéralo-industriel en miroir au complexe militaro-industriel pour souligner la vaste mobilisation de capitaux privés, d’entreprises de construction et de gestion des établissements pénitentiaires (p.6). Angela Davis peint un bref historique de la « carcéralisation » du paysage californien pour démontrer à quel point la production de ce système d’incarcération massive s’est accomplie avec le consentement implicite du grand public (p.8). La Californie possède les deux plus grandes prisons de femmes au monde, renfermant chacune environ 35,000 détenues (p.7).
La géographe Ruth Gilmore considère l’expansion du système carcéral en Californie comme « une solution géographique à des problèmes socioéconomiques » : ce phénomène résulte d’un surplus de capital, de terrain, de main-d’œuvre et de capacité étatique (p.8). Les prisons étaient présentées comme une nouvelle industrie non polluante qui allait revitaliser des zones délaissées (p.9). Elle tisse un lien entre désindustrialisation de l’économie, délocalisations et incarcérations de masse (p.10).
La majeure partie de la population considère la prison comme un fait acquis sans accepter un débat sérieux sur les conditions de détention et les alternatives à la privation de liberté (p.9). Par conséquent, la prison est à la fois présente et absente de nos vies. Penser la conjonction présence-absence, c’est commencer à reconnaître comment l’idéologie façonne nos interactions avec notre environnement social. La prison fonctionne sur le plan idéologique comme un lieu abstrait renfermant les « indésirables » afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux problèmes qui affectent les communautés dont sont largement issus les détenus. Notre familiarité avec la prison est due à une surconsommation d’images carcérales dans les médias et les productions culturelles, la prison apparaît alors comme un élément naturel du paysage social (p.11).
La réflexion sur une réforme du système carcéral ne permet pas de réflexion sur les horizons au-delà de la prison. Dès lors, comment penser des alternatives efficaces à la prison (des stratégies de décarcération, de dépénalisation de drogue, de réadaptation plutôt que de punition, etc.) (p.13) ?
Esclavage, droits civiques et perspectives abolitionnistes
Angela Davis dresse un parallèle entre la prison et le système esclavagiste américain, en tant qu’institutions tellement ancrées dans le paysage social qu’il a été/devient difficile de penser des alternatives (p.14). Il aura fallu une longue et violente guerre civile pour aboutir au démantèlement légal de « l’institution particulière » (p.14), où l’esclavage, le lynchage et la ségrégation étaient des références idéologiques (p.15) mais aussi des formes institutionnalisées du racisme (p.16). La ségrégation est restée en vigueur dans le Sud jusqu’à son interdiction près d’un siècle après l’abolition officielle de l’esclavage (lois Jimmy Crow) (p.15). Elle questionne l’obsolescence de la prison en tant qu’institution fondamentalement raciste, contre les noir.e.s mais aussi les Latino.a.s, des Amérindien.ne.s et des Américain.e.s d’origine asiatique (p.16). L’abolition complète des réminiscences du système raciste ne pourrait donc se faire qu’avec l’abolition de la prison, elle-même intrinsèquement raciste.
La prison, en tant qu’institution visant à la fois à punir et réhabiliter, est apparue aux États-Unis au moment de la Révolution américaine. Ce nouveau système de châtiment visait à remplacer la mise à mort et les châtiments corporels par des peines d’incarcération (p.17). L’incarcération devient un châtiment en soi et le pénitencier était considéré comme une avancée progressiste (p.17). Cependant, l’esclavage et la prison appliquaient des formes de châtiment similaires (restriction de libertés, isolement, dépendance envers autrui pour les besoins fondamentaux, etc.) (pp.17-18).
Emprisonnement et réforme
Comment le genre structure le système carcéral ?
Le complexe carcéro-industriel
Alternatives abolitionnistes