Extraits et citations :
“… fait partie de ces femmes, jamais rencontrées, mortes ou vivantes, réelles ou non, avec qui, malgré toutes les différences, je me sens quelque chose de commun. Elles forment en moi une chaîne invisible où se côtoient des artistes, des écrivaines, des héroïnes de roman et des femmes de mon enfance. J’ai l’impression que mon histoire est en elles.”
Les filles comme moi gâchaient la journée des médecins. Sans argent et sans relations - sinon elles ne seraient pas venues échouer à l'aveuglette chez eux -, elles les obligeaient à se rappeler la loi qui pouvait les envoyer en prison et leur interdire d'exercer pour toujours. Ils n'osaient pas dire la vérité, qu'ils n'allaient pas risquer de tout perdre pour les beaux yeux d'une demoiselle assez stupide pour se faire mettre en cloque. À moins qu'ils n'aient sincèrement préféré mourir plutôt que d'enfreindre une loi qui laissait mourir des femmes. Mais tous devaient penser que, même si on les empêchait d'avorter, elles trouveraient bien un moyen. En face d'une carrière brisée, une aiguille à tricoter dans le vagin ne pesait pas lourd.
“Ni lui ni moi n'avions prononcé le mot avortement une seule fois. C'était une chose qui n'avait pas sa place dans le langage.”
“Et, comme d'habitude, il était impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.”
“Je sais aujourd'hui qu'il me fallait cette épreuve et ce sacrifice pour désirer avoir des enfants.”
“Je veux m'immerger à nouveau dans cette période de ma vie , savoir ce qui a été trouvé là. Cette exploration s'inscrira dans la trame d'un récit, seul capable de rendre un événement qui n'a été que du temps au-dedans et au-dehors de moi. Un agenda et un journal intime tenus pendant ces mois m'apporteront les repères nécessaires à l'établissement des faits. Je m'efforcerai par-dessus tout de descendre dans chaque image, jusqu'à ce que j'aie la sensation physique de la "rejoindre", et que quelques mots surgissent, dont je puisse dire, "c'est ça". D'entendre à nouveau chacune de ces phrases, indélébiles en moi, dont le sens devait être si intenable, ou à l'inverse si consolant, que les penser aujourd'hui me submerge de dégoût ou de douceur.”
Quatrième de couverture :
L'occasion d'un banal examen dans un cabinet médical replonge la narratrice plus de trente ans en arrière, en janvier 1964, au moment de son avortement clandestin. Si le souvenir apparaît lointain, l'événement n'en est pas moins indélébile. A la fois égarée et démunie, pendant deux mois, la jeune femme d'alors a caché sa grossesse, à ses parents comme à ses amis proches, cherché désespérément une "faiseuse d'anges". C'est à Paris, rue Cardinet, que la narratrice trouvera l'infirmière clandestine qui lui plongera dans le sexe la sonde nécessaire. Et c'est à Rouen, dans sa chambre d'étudiante, banale et dérisoire, en compagnie de sa voisine, qu'elle sera "assise sur le lit, avec le fœtus entre les jambes", véritable "scène de sacrifice". Pour la narratrice, il s'agit "d'entraîner l'interlocuteur dans la vision effarée du réel".
Récit autobiographique terrifiant et sensible, à valeur d'exorcisme, raconté dans la simplicité violente et cruelle des faits, L'Événement rappelle une société engoncée dans ses principes, ses tabous et ses préjugés de classe, en même temps qu'il révèle un événement vécu comme une initiation. --Céline Darner
Contexte et analyse :
A propos de l’autrice Annie Ernaux :
Annie Ernaux est une écrivaine française. Elle a notamment écrit La femme gelée, Les armoires vides, Passion simple, Mémoire de fille, Une femme, L’évènement.
Épisode 1 : La vraie vie - Annie Ernaux 1/4 - La compagnie des auteurs - France Culture
Épisode 2 : Ecire ne pas écrire - Annie Ernaux 2/4 - La compagnie des auteurs - France Culture
Épisode 3 : Voir autrement - Annie Ernaux 3/4 - La compagnie des auteurs - France Culture