King Kong théorie, Virginie Despentes, 2006, Grasset

Bad lieutenantes

L’autrice féministe française Virginie Despentes commence son essai majeur par ces mots « J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf. » (p.9). Elle souligne la nécessité de représenter dans la littérature la « figure de la looseuse de la féminité » (p.10), elle qui écrit en tant que « femme inapte à attirer l’attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à (se) satisfaire d’une place à l’ombre » (p.11).

Je t’encule ou tu m’encules ? « Jamais aucune société n’a exigé autant de preuves de soumissions aux diktats esthétiques, autant de modifications corporelles pour féminiser un corps. Et en même temps que jamais aucune société n’a autant permis la libre circulation corporelle et intellectuelle des femmes. » (p.22) Selon Virginie Despentes, le « sur-marquage en féminité » sert à rassurer les hommes face à leur perte de prérogatives. Les femmes se diminuent spontanément, se mettent en position de séductrice pour simuler de réintégrer leur rôle (p.22). L’accès à des pouvoir traditionnellement masculins se mêle à la peur de la punition. Elle souligne également la résurgence de la valorisation de la maternité comme expérience féminine incontournable (p.23). Cette « propagande pro maternité » (p.23) et « glorification de la condition féminine » (p.25) vient s’inscrire en contradiction complète avec l’effondrement des services publics et acquis sociaux : il faut faire des enfants mais les élever dans des conditions décentes sera impossible (p.23). Elle souligne que la révolution sexuelle féministe des années 70 (pp.17-18) n’a pas donné lieu à une réorganisation de la gestion de l’espace domestique, de l’élevage des enfants, ni à réappropriation de l’espace public (p.24). Elle effectue un parallèle avec la surveillance accrue de l’État . « Un Etat qui se projette en mère toute puissante est un Etat fascisant. » (p.26). « Nous régressons vers des stades d’organisation collective infantilisant l’individu » (p.26).

« Le collectif est resté un mode masculin. Nous manquons d’assurance quant à notre légitimité à investir le politique » (p.24) du fait des peurs que les violences sexistes et sexuelles engendrent. Elle souligne « nos propres réticences à l’émancipation » dans le fait de délaisser le terrain politique et de ne pas défendre nos revendications propres (p.25). Pour réussir en politique, il faut aller à l’encontre de tous les traits assimilés à la féminité (se montrer puissante, oublier d’être douce, agréable) (p.25).

Les hommes se lamentent que l’émancipation féminine les dévirilise, regrettant un état antérieur où leur force prenant racine dans l’oppression des femmes (p.27). Seulement, l’autrice souligne que « Les corps des femmes n’appartiennent aux hommes qu’en l’échange de quoi le corps des hommes appartiennent à la production, en temps de paix, à l’Etat, en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en même temps que la confiscation du corps des hommes » (p.27). Virginie Despentes enjoint les femmes à penser une paternité active (p.28). « Le regard du père sur l’enfant est une révolution en puissance » (p.28) pour ouvrir d’autres possibles « car la virilité traditionnelle est une entreprise aussi mutilatrice que l’assignement à la féminité » (p.28). Elle souligne que « comprendre les mécanismes de notre infériorisation, et comment nous sommes amenées à en être les meilleures vigiles, c’est comprendre les mécaniques de contrôle de toute la population » (p.30).

Impossible de violer cette femme pleine de vices

Dans ce chapitre, Virginie Despentes parle en tant que survivante d’agression sexuelle et raconte le viol qu’elle et son amie ont subi lorsqu’elles avaient 17 ans.

“Cette proximité, depuis, parmi les choses indélébiles : corps d’hommes dans un lieu clos où l’on est enfermées, avec eux, mais pas semblables à eux. Jamais semblables avec nos corps de femmes. Jamais en sécurité, jamais les mêmes qu’eux. Nous sommes du sexe de la peur, de l’humiliation, le sexe étranger. C’est sur cette exclusion de nos corps que ce construisent les virilités, leur fameuse solidarité masculine” (p.34).

D’une plume glaçante, elle souligne que, malgré le fait que ces trois hommes les ont battues, menacées avec une arme, ils ne s’identifient surement pas comme des violeurs. “Car les hommes condamnent le viol. Ce qu’ils pratiquent, c’est toujours autre chose” (p.36).

Elle souligne également comment “la vie militaire était une occasion de pratiquer le viol collectif […] une stratégie guerrière qui participe à la virilisation du groupe qui la commet tandis qu’il affaiblit en l’hybridant le groupe adverse” (p.37).

Références

Pour aller plus loin